[CHRONIQUE JURIDIQUE] QUID DU CRIME DE GUERRE ?

L’incrimination des crimes de guerre a connu une évolution dont les prémices sont à découvrir dans les textes anciens en passant par la répression de la criminalité de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la précision de ses contours par les instruments contemporains. Ainsi donc, les infractions susceptibles de constituer des crimes de guerre sont énumérées dans des textes qui relèvent à la fois du droit relatif au traitement des personnes et des biens au pouvoir de l’ennemi, le “droit de Genève” et du droit qui régit plus particulièrement la conduite des hostilités, le “droit de La Haye”.
Dans la présente chronique, nous étudierons le droit de Genève. Celui de la Haye sera abordé dans notre treizième numéro.
Les violations du ‘’droit de Genève’’.
Le ‘’droit de Genève’’ est l’ensemble des normes qui visent à assurer la sauvegarde des personnes au pouvoir de l’ennemi et qui, parallèlement protègent les biens indispensables à la population. Les violations du ‘’droit de Genève’’ sont donc les infractions graves aux conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs Protocoles additionnels du 8 juin 1977. Le condensé de ce droit est mis à l’actif de l’article 8 du statut de la CPI qui énonce plusieurs catégories de crimes de guerre que sont d’une part, les crimes commis dans un conflit armé international, à savoir les infractions graves aux conventions de Genève du 12 août 1949 (Art. 8-2 a.) et les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits internationaux, dans le cadre établi du droit international (Art. 8-2 b) et d’autre part, les crimes commis dans un conflit interne, c’est-à-dire les violations graves de l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève commises en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international (Art. 8-2 c) et les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international, dans le cadre établi du droit international (Art. 8-2 e). À ces deux catégories, le statut de la CPI se singularise en y ajoutant une nouvelle catégorie de conflit, donnant lieu à une troisième, les conflits internes prolongés (Art. 8-2 e et 8 – 2 f).
Alors, quel est le sens d’appréhension du ‘’droit de Genève ‘’ par les rédacteurs des Codes Pénaux des Etats membres du Traité de Rome de la CPI ?
Il faut dire qu’en Centrafrique, c’est l’alinéa 1 de l’article 3 de la Loi Organique n°15.003 du 3 juin 2015 sur la Cour Pénale Spéciale (CPS) qui mentionne l’incrimination des crimes de guerre dont la définition est donnée par l’article 154 du Code Pénal Centrafricain. Cet article s’inspire des dispositions de la Convention de Genève du 12 août 1949 qui considère comme crime de guerre, les infractions graves auxdites
conventions, visant des personnes ou des biens protégés. Les actes constitutifs de ces infractions sont : l’homicide volontaire, la torture, les traitements inhumains, la destruction et l’appropriation des biens non justifiées par des nécessités militaires, le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou toute personne protégée de servir dans les forces armées, la déportation, le transfert ou la détention illégale, la prise d’otages.
Ensuite, l’article 155 du même Code souligne aussi au titre des crimes de guerre, « les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international ». Ce qui implique aussi le Protocole I aux conventions de Genève du 8 juin 1977 relatifs à la protection des victimes des conflits armés internationaux.
De plus, les violations de l’article 3 communs aux conventions de Genève du 12 Août 1949 et le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève du 8 juin 1977 relatif à la protection des victimes des conflits armés non-internationaux y sont aussi évoqués aux termes de l’article 156 dudit code.
Enfin, l’article 157 de ce code, prend en compte la situation des « conflits armés qui opposent de manière prolongée sur son territoire, l’Etat centrafricain à des groupes armés organisés ou des groupes armés organisés entre eux ». Sur ce point, l’article 8 du statut de Rome, met l’accent sur la nécessité pour les groupes armés impliqués d’avoir « la capacité à concevoir et mener des opérations militaires pendant une période prolongée ». La CPI ne manque pas de le souligner dans sa décision ‘’Le Procureur c/Thomas LUBANGA Dyilo’’ du 26 janvier 2007. Eu égard à ce qui précède, le Code Pénal Centrafricain auquel fait référence la LO n°15.033 mentionne toutes les catégories de crimes de guerre, esquivant ainsi l’ambiguïté régnante entre les incriminations en situation de conflit armé international et celles résultant d’un conflit armé interne. Ce qui constitue une marque déposée pour la CPS. Cette originalité de la CPS présente le caractère de la version la plus aboutie des actes à ce jour incriminés comme crimes de guerre en droit international au sens de l’article 8 sus indiqué du statut de la CPI. C’est dire avec Yann JUROVICS et Marina EUDES que l’ « Internationalité du conflit armé est une condition dépassée ». S’il est prouvé à l’issue des enquêtes qu’il y a eu des infractions conduisant aux crimes de guerre telle qu’allégué par les rapports des experts indépendants de l’ONU, aucun auteur ne pourra en être à l’abri.
On peut lire dans la formulation du crime de guerre par les rédacteurs du Code Pénal Centrafricain que la nature du conflit ne conditionne plus la répression. La distinction entre conflit armé international et conflit armé non-international, ou “conflit armé de caractère non international“, auparavant d’intérêt fondamental pour la qualification des crimes de guerre, devient presque inopérante. Ce qui est une avancée significative contre l’impunité des crimes commis en République Centrafricaine.
Le fait que ce code reprenne les trois catégories des crimes de guerre visés par l’article 8 du statut de la CPI fait de la Centrafrique « un pas-de-géant » dans son domaine de compétence, comme le souligne Luigi CONDORELLI pour la CPI. Même si ledit code ne criminalise pas explicitement les actes constituant les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international, comme il ressort du statut de la CPI (Art. 8-2 e). In fine, nous pouvons percevoir des dispositions 154 et s du Code Pénal Centrafricain un renvoi au Statut de la CPI qui énumère une liste des actes considérés comme crimes de guerre, toujours selon cette dichotomie irréductible “conflit armé international et conflit armé non-international”, et la division entre les branches distinctes des conflits armés internes. La République Centrafricaine marque un ferme attachement à la distinction traditionnelle entre crimes de guerre dans le cadre d’un conflit armé international et crimes de guerre s’inscrivant dans un contexte de conflit armé non-international. A notre humble avis, les rédacteurs du CPC auraient mieux fait en unifiant toutes les catégories de crimes de guerre sous le régime des ‘’infractions graves’’ aux conventions de Genève comme l’a tenté de faire le statut du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Ce qui donnerait lieu à un régime unique pour une impunité sans ambiguïté.
Les atteintes graves aux biens constituées des pillages et destructions inutiles des biens publics ou privés de même que les biens culturels constituent aussi des crimes de guerre. L’article 3 d du statut du TPIY érige ces actes en crime de guerre et incrimine « la saisie, la destruction, l’endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion, à la bienfaisance et à l’enseignement, aux arts et aux sciences, à des monuments historiques, à des œuvres d’art et à des œuvres de caractère scientifique ».
Qu’en est-il de la prise en compte de l’incrimination du crime de guerre par le code pénal de votre Etat ? À vos claviers !!!
Chanel C MOUBINDAGHA