[Gabon]«Opération scorpion» : une justice à deux vitesses ?
Avec l’arrestation, il y a quelques jours du maire de Libreville, Léandre Zue et de certains de ses collaborateurs, l’Opération Scorpion lancée l’année dernière, semble être entrée dans sa deuxième phase contre les détournements d’argent de l’Etat. Une deuxième phase dont la diligence et la célérité de la justice interrogent néanmoins quant au sérieux des enquêtes. Surtout quand on sait que de nombreux dossiers antérieurs n’ont pas jusqu’ici connu le même sort.
Élu maire de Libreville en février 2019, il n’aura fallu que moins de deux ans pour voir Léandre Zue derrière les barreaux pour détournement d’argent public à la tête de la plus grande municipalité du Gabon, dont le budget d’un peu plus de 24 milliards de FCFA ne consacre que près de 4 milliards aux investissements, l’essentiel étant consacré au paiement des salaires et autres traitements personnels. Piqué au vif par l’impertinence de la presse qui demandait des explications, Monsieur le Maire, d’un ton brutal comme à son habitude, avait lancé, sans sourciller devant caméras que cette augmentation exponentielle de la masse salariale de l’Institution était due à la politique des recrutements massifs qu’il menait, afin de constituer une base électorale pour la réélection d’Ali Bongo Ondimba en 2023.
Car avait-il expliqué, le PDG n’ayant jamais gagné une élection à Libreville, il lui revenait de relever ce défi par des emplois complaisants dans le cadre de la prochaine élection présidentielle.
Cette allégeance publique, mal réfléchie avait été le point de départ des ennuis de Léandre Zue. Puisqu’il sera convoqué par la commission de discipline du Parti démocratique gabonais au pouvoir, visiblement embarrassé par cette bourde considérée comme maladroite. Et c’est également de là que sont partis les soupçons de corruption et de détournements d’argent. Il n’aura donc fallu que trois mois à la justice pour passer les menottes à l’édile ainsi qu’à plusieurs de ses collaborateurs.
Les deux poids, deux mesures
Sauf que cette célérité extraordinaire de la justice ne va pas sans interrogations à Libreville, quand on sait que depuis 2017, la douzaine de noms transmise à la justice par la Commission de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite n’a jamais connu de suite, du moins le procureur de la république n’a jamais communiqué là-dessus. Fait étonnamment curieux quand on sait que l’argument, maintes fois brandit par le gouvernement pour étayer la lenteur chronique des procédures est que le temps de la justice n’est pas celui des hommes. Comme si cette justice était conduite par des entités immatérielles.
Sinon comment expliquer que des enquêtes d’à peine quelques mois conduisent à des arrestations aussi spectaculaires quand cette même justice traîne le pas sur des dossiers antérieurs ? À cette question, les accusations de manipulation dans l’ombre de la justice pour des intérêts politiques ne manquent pas. Et de toute évidence, que ces interpellations soient fondées ou non, les magistrats, entachés par la mauvaise réputation d’être instrumentalisés, ont désormais l’obligation d’agir selon la probité du droit. Car il y va de l’honneur de la justice gabonaise.
CNN